Au fil des années, différentes théories de l’intelligence ont vu le jour. Depuis quelques temps, on a beaucoup parlé des auditifs et des visuels et de l’impact que cela pouvait avoir sur l’apprentissage. Il a aussi été question, quoique avec une diffusion moins large dans le grand public, des fonctions cognitives qui distinguaient quatre types d’individus : le séquentiel verbal, le séquentiel non-verbal, le simultané verbal et le simultané non verbal.
Pour chacun de ces groupes, quelle que soit l’approche, l’intérêt réside dans la compréhension de la relation qu’un apprenant entretient avec un apprentissage à réaliser. Ce qui est insatisfaisant dans ces conceptions, c’est qu’elles sont dichotomiques, c’est-à dire exclusives, alors qu’on observe rarement des types purs. Qui plus est, les théories qu’on nous propose sont trop souvent parcellaires, se révélant incapables de nous fournir une vision d’ensemble. C’est d’ailleurs pourquoi ces outils ont si peu d’impact sur notre quotidien pédagogique. Cela était vrai, jusqu’à ce qu’une nouvelle conception de l’intelligence développée par Howard Gardner commence à se répandre dans le grand public tout en retenant l’attention des milieux de l’éducation. Cette théorie est suffisamment complexe pour expliquer un grand nombre de comportements, tout en étant suffisamment simple pour donner lieu à des applications en termes de pédagogie. Enfin, signalons qu’il s’agit d’une théorie qui, au lieu de proposer une conception entièrement nouvelle, prend plutôt appui sur différents travaux démontrant les diverses fonctionnalités du cerveau humain. On pourrait même dire que cette conception de l’intelligence essaie d’être unificatrice.
Qu’est ce donc l’intelligence?
Lorsque vous êtes en relation avec une autre personne, sur quelle base faites-vous une évaluation de son intelligence? Sur son QI (quotient intellectuel)? Sur sa capacité à résoudre des problèmes ou à répondre à des questions qui vous dépassent ? Sur sa culture ? Sur son habileté à discourir ? Sur son adaptation à son environnement ? Sur ses performances scolaires ? L’intelligence est-elle le fruit de facteurs environnementaux comme un milieu propice et stimulant qui permet le développement, ou bien est-elle prédéterminée à la naissance ? Le concept d’intelligence est-il universel ? Autrement dit, une personne que nous considérons en occident comme très intelligente, jouirait-elle de la même considération au coeur de l’Afrique ou en Asie ? Il appert que la perception de l’intelligence est fonction des variables qui diffèrent selon l’époque et la société au sein de laquelle elle s’exerce. Ainsi, par exemple, les personnes souffrant d’une surdité congénitale ont été traitées comme des êtres stupides et mis au ban de la société jusqu’à la mise au point du langage des signes, vers 1775, tout simplement parce qu’ils ne pouvaient communiquer. En fait, et cela est toujours vrai, l’un des éléments de la perception spontanée de l’intelligence est la conformité sociale. La conformité sociale peut être considérée comme l’une des manifestations primaires de l’intelligence, celle qui permet de survivre.
On pourrait multiplier les exemples afin d’illustrer ce propos, mais ce qu’il est important de retenir, c’est que l’intelligence est avant tout fonction de la perception des contemporains de la société où elle se manifeste. C’est ainsi que le «génie iii» de nombreux artistes n’a été reconnu qu’après leur décès, leur marginalité étant en partie la cause de cette méconnaissance. Il arrive aussi qu’on juge a posteriori l’intelligence d’une personne. L’histoire nous propose de nombreux exemples d’éminents savants à leurs époques respectives, mais dont la réputation ne s’est pas maintenue dans le temps, contrairement à plusieurs de leurs contemporains. Ces personnes ont tout simplement émis des hypothèses, aujourd’hui risibles mais qui, dans le contexte des connaissances de leur époque, étaient crédibles et sérieuses.
La mesure de l’intelligence
Le concept d’intelligence est demeuré dépendant de certaines normes sociales jusqu’au début du vingtième siècle. C’est vers cette époque qu’on a commencé à imaginer qu’on pourrait mesurer l’intelligence ! Qui n’a pas entendu parler du fameux «QI» ! Il est fort à parier qu’à un moment de votre vie, vous ayez été confronté à l’un ou l’autre instruments de mesure de l’intelligence qu’on tend à regrouper sous le vocable de test de QI. Au fil des ans on a constaté que ces mesures ont pour caractéristique principale de prédire l’avenir scolaire d’un individu avec une faible marge d’erreur, tout en se révélant incapables de donner des indications quant au devenir professionnel des personnes mesurées. Cela s’explique aisément par le fait que ces systèmes de mesure, tout comme notre système scolaire, accordent beaucoup d’importance aux les aspects de la logique, des mathématiques et de la langue. Dans les faits, les personnes qui performent bien dans ces domaines présentent des résultats à l’avenant. On a aussi observé que lorsqu’on soumet des non-occidentaux à ces tests, ils paraissent moins «intelligents» et moins «compétents» au regard des standards. Des facteurs culturels viennent donc influencer les résultats.
Notre société occidentale est friande de classement. On mesure tout et ce qui ne se mesure pas a généralement peu de valeurs. Ces mesures privilégient certains éléments de notre tradition et tendent à créer des hiérarchies qui définissent une certaine élite. On parle souvent des "élites Intellectuelles" de nos sociétés pour décrire les groupes qui sont à l’avant-plan de notre société, ses têtes dirigeantes. De tout temps, dans toutes les sociétés, ces groupes ont existé; ce qui est plus récent, c’est l’existence d’instruments de mesure qui attestent de l’intelligence et qui, partant, permettent l’accès à certains lieux de prestige.
La conception de l’intelligence que sous-tend cette forme de mesure laisse entendre que l’intelligence est innée, qu’elle ne se modifie guère avec l’âge, l’apprentissage ou l’expérience. Or, rien n’est plus faux. La plupart des chercheurs qui se penchent sur ce sujet estiment que, si les jeunes tendent à progresser dans différents domaines, avec l’âge ils connaissent, comme c’est le cas au plan physique, des périodes de développement accéléré et des périodes de stagnation. Le concept traditionnel de l’intelligence est aussi remis en question par les neurosciences qui ont récemment mis en évidence la plasticité du cerveau, c’est-à-dire la capacité du cerveau de reconstruire un réseau neuronal liant certaines fonctions à une nouvelle zone du cerveau à la suite d’un accident.
Bibliographie Gould, Stephen Jay. "La mal-mesure de l’homme." Paris, Ed. Ramsay Gould, Stephen Jay. "Millenium. Histoire naturelle et artificielle de l’an 2000." Leblanc, Raymond. "Une difficulté d'apprentissage: sous la lentille du modèle des intelligences multiples". In Éducation et francophonie, Volume XXV n° 2, automnehiver 1997 http://www.acelf.ca/revue/XXV2/articles/r252-02.html